
Pour certains, l’art est une option. Pour d’autres, c’est une nécessité, une raison de vivre, un moyen de se questionner, de trouver des réponses et de transmettre des émotions. Abrahan Portocarrero, aka Yandy Graffer, est artiste contemporain. Après avoir commencé par le graff, il explore l’univers des arts visuels et de la métaphysique sans se fixer de limites. Son monde ? Un mélange d’identités et de cultures, de fresques et de tableaux, de personnages et de couleurs… Ce n’est pas de l’air, mais de l’art qu’il respire !
Début du voyage : le graff et les beaux-arts au Pérou 🎨
Ses premiers pas dans l’art, Abrahan les a faits avec le graffiti, à Lima, au Pérou, où il a grandi. Tout jeune, vers 12 ou 13 ans, ses yeux étaient attirés par les œuvres fascinantes qui ornaient les murs : « Tu te disais mais comment ils ont fait ? Est-ce que c’est une personne humaine, un extraterrestre ? Tu montes dans le bus, dans le métro, tu te balades en ville et tu vois des grands formats, des couleurs hors du commun… C’est là que j’ai connecté avec le graffiti. »
Le graffiti faisait partie de la réalité de la ville, et du quartier où il a grandi, avec un mélange de graffs plutôt “bandits”, vandales, et d’autres aux influences américaines. Petit à petit, il se met à s’intéresser à la culture hip-hop, au rap, à l’art de manière générale. Il fait des rencontres et commence, lui aussi, à donner vie aux murs.
À la fin du collège, quand il doit choisir son orientation, l’art a déjà pris une place énorme dans sa vie. « Je ne voyais pas autre chose que l’art, la création. Dans toutes les autres matières, j’étais zéro. Ma sortie, c’était l’art. Tout ce que je faisais, c’était réfléchir à l’art. »
Alors il choisit la voie du graphisme, et commence à se former à des logiciels, élargit ses techniques… tout en gardant un objectif précis en tête : « Mon rêve, c’était d’entrer à l’école des beaux-arts. Le graffiti m’a mené au graphisme, le graphisme m’a emmené à l’école des beaux arts. Et c’est là que le voyage et les aventures ont commencé. »
Pas évident d’y rentrer, mais Yandy finit par y arriver. Là-bas, il apprend énormément. Sur la culture de l’art, sur les techniques… Il profite de l’expérience des professeurs, apprend la gravure et rencontre de nouveaux univers.
« Je venais de la rue. Ma tête pensait graffiti, graffiti, graffiti. Mais il y avait des gens qui étaient en train de penser à Léonard de Vinci, Picasso… Moi, je n’avais pas ça ! Il y avait plusieurs façons de réfléchir l’art. Ça t’enrichit beaucoup, de grandir avec des gens qui sont en train de se chercher eux-mêmes. »
Quand il n’est pas à l’école, Yandy continue d’avancer, de graffer et de peindre dès que possible. Quitte à demander à l’école de le libérer pour qu’il puisse faire des festivals. Il apprend autant aux beaux-arts que dehors, sur le terrain.
« J’étais en train de commencer ma carrière, déjà, avec le muralisme. C’était l’école des beaux-arts, c’était la rue. Les festivals dehors, l’école, les festivals, l’école. C’était génial. Je pense qu’il ne faut pas attendre de finir l’école pour commencer ta carrière en tant qu’artiste. […] Tu es jeune, tu as la force d’aller chercher des projets à gauche à droite… »
Assez naturellement, Yandy joue sur les deux tableaux. Il fait des rencontres et multiplie les projets : des fresques, des tableaux, des expositions collectives… la chaîne est lancée. C’est sa rencontre avec la mère de sa fille, Luz, qui le fera quitter Lima pour venir s’installer en France, à Lyon.
La création est infinie, et tout est bon apprendre 🖼
Ici, il découvre une autre réalité. À Lima, son truc, c’était les fresques : des grands formats avec des perches, des rouleaux, des pinceaux ou des sprays basiques. Il rencontre alors un autre matériel, de nouvelles méthodes. « J’ai grandi dans une réalité hyper contrastée de celle d’ici en France. Je trouve un peu plus de paix. J’ai commencé à peindre des tableaux. C’est un autre univers. C’est deux univers différents, mais deux univers à tester et dans lesquels chercher. Il y a plein de choses à apprendre. »
Aujourd’hui installé à la Cité des halles, Yandy continue ses recherches, entre les créations et les fresques. Son art est un mélange de toutes les étapes qu’il a pu traverser dans la vie, y compris des dessins animés qu’il regardait petit. On y trouve des personnages en train de sauter, courir, voler, virevolter… plein d’émotions et de couleurs fortes. Il puise beaucoup dans la réalité qui l’entoure, mais aussi dans ses souvenirs.
« C’est ça, mon processus créatif : nourrir ma mémoire. Je faisais quoi, avant ? Pourquoi ne pas donner de la valeur à ça aussi ? Et dans ce dessin animé, pourquoi cette couleur, pourquoi ces symboles ? C’est une chaîne de questions et de réponses. Ce n’est jamais fini ! Et quand je suis devant une toile blanche, je sors toutes les petites choses qu’il y a dans mes souvenirs. Ça nourrit mes créations. »
Sa curiosité le pousse à s’intéresser à de nombreuses cultures, à expérimenter différentes techniques. Quitte à découper du bois, à jouer sur les reliefs… Et tout ça rend son travail hyper riche. Résultat : un vrai mélange culturel, des questions spirituelles… et des tas d’histoires à raconter.
« Je me laisse la liberté d’apprendre. C’est important de rester en apprentissage. Si tu te dis j’ai fini, j’ai ma technique, tu n’apprends plus et tu te fermes ! Dans le monde entier, combien il y a de techniques à apprendre ? C’est incroyable. J’aime bien faire des mélanges culturels. C’est une richesse aussi. Et c’est important pour montrer qu’il y a d’autres possibilités. »
L’évolution de son univers et de ses persos 🚀
👉 Son premier personnage représentait son alter ego : un pêcheur artisanal, inspiré de son enfance avec son grand-père pêcheur.
👉 En se questionnant sur la genèse et la création de la matière, il crée un univers : des nuages un peu cartoon, des smileys… qui donnent vie à des embryons qui prennent la forme de fruits, puis de poissons dotés de nageoires en forme de feuilles.
👉 L’être humain intègre son univers : il arrive dans une pomme, qu’il éclate, avec d’autres personnages en train de voler.
👉 Petit à petit, il donne naissance à des personnages qui mêlent l’identité japonaise, du manga, Doreamon…
👉 Tout ça l’amène à la pop culture, à laisser de côté la ligne pour tester de nouvelles choses. Plus de peinture, plus de couleurs, plus de volume, plus de petits personnages…
« La vie, c’est pas rose hein. Mais je n’arrête pas ma création. Parce que c’est ma vie, tu vois. Tu ne peux pas m’arracher la vie comme ça. Je ne peux pas arrêter de faire mes peintures, des graffitis. »
L’art de nourrir l’esprit et de toucher le ressenti 🪄
Le travail de Yandy est imprégné de son histoire personnelle, de son identité latino-américaine et de la pop culture. En mélangeant tout ça, il se pose un tas de questions.
« Comment on peut représenter des choses qu’on ne peut pas arriver à voir ? Avec la métaphysique. C’était ça, ma question. Et je suis en train de le travailler. Investigations, recherches… il faut peindre pour répondre. Des choses m’amènent à une autre culture, et c’est toujours nourrissant. Ce n’est jamais fini. »
Avec son art, il tâche de partager ses réflexions à sa façon, avec son langage : des personnages de dessins animés japonais, intégrés à son univers. Il fouille, revient sur ses pas pour se souvenir de ses racines, et continuer à évoluer, pour se nourrir et nourrir les autres.
« Je ne vois pas l’art comme un travail qui va me nourrir à 100 %. Mais qui va me nourrir spirituellement, émotionnellement, qui va me donner une raison pour vivre, et c’est déjà important. […] Aujourd’hui, les gens ne pensent qu’à des numéros. La vie, ce n’est pas que des numéros ! C’est des vibrations émotionnelles, aussi. On a le corps matériel à nourrir, mais aussi l’autre côté, qu’on ne voit pas. Le ressenti. Et ça, il faut l’alimenter aussi ! »
Et on est beaucoup à avoir besoin de ça. De l’art pour sortir de la réalité, la voir autrement, se procurer des émotions, s’ouvrir à d’autres cultures, apprendre de nouvelles choses… Alors Yandy continue à créer, sans oublier de s’amuser avant tout.
« Il ne faut pas se prendre la tête avec l’art. Je pense que c’est plutôt commencer quelque chose, t’amuser avec ça, te faire du bien. Spirituellement, surtout. Et après le temps te le dira. Les gens aussi. C’est les gens qui te donnent la force. L’idée n’est pas de chercher des numéros, de chercher à gagner ta vie avec ça. Non, je ne vis pas de l’art. C’est moi qui fait vivre l’art. Parce que s’il n’y a pas d’artiste, il n’y a pas d’art ! »
Alors Yandy continue à faire vivre l’art. Du matin au soir jusque dans ses rêves, l’art est toujours dans un coin de sa tête. Il trouve de nouvelles idées et de nouvelles histoires à raconter pour transmettre des émotions. L’histoire qu’il est en train d’écrire verra le jour en 2025. Son nom ? « The Life of The Future. » Une lumière riche et colorée pour venir éclairer nos réalités… que Yandy n’a pas fini d’enjoliver !