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Chloé Drouet – Entre intime et politique, ça passe ou ça classe

Peut-on avoir du mal à comprendre le second degré et vendre des blagues sur scène ? Le tout en partant du principe que tout le monde devrait rire ? Que ceux qui ne rient pas sont soit débiles, soit sourds ? Oui, c’est possible. Chloé Drouet en est la preuve. Passionnée par l’écriture et les blagues, ça fait maintenant plus de 3 ans qu’elle les partage sur les plateaux. Mêlant intime, politique, humour noir, bides (ça arrive aux meilleures), elle développe en ce moment son deuxième spectacle : Chloé Fucking Drouet. Alors… ça passe, ou ça clashe ? 

Un cahier de blagues vomit le mot ✍️

Chloé a toujours voulu être géniale. Pour plaire à sa mère, et peut-être un peu par peur de l’abandon. Mais c’est un autre sujet. Après avoir testé la musique, crié dans des micros, elle a commencé à écrire pour un magazine culturel satirique, Fier Panda. C’est là qu’elle se met à développer une plume humoristique, et qu’elle y prend goût.

Tant et si bien qu’elle se lance dans des recueils, qu’elle intitule “Mon chat a vomi sur mon cahier de blagues”. Elle en fait 1, 2, 3, 4… bref, elle continue à écrire ! Jusqu’à ce qu’elle se sente pousser des ailes (bizarre, pour un panda), il y a 3 ans. Alors qu’elle va voir jouer Yacine Belhousse, elle décide d’en profiter pour lui montrer ses écrits. « Je ne sais pas ce qui m’a pris, peut-être un vent de beaucoup trop de prétention d’un coup. Je lui ai montré, et il m’a dit : “Bah ça, c’est du stand up ! Il faut faire du stand up :)” » 

Quelques jours plus tard, elle écrivait à Kacem Delafontaine et Hermann pour faire ses premiers plateaux. Elle a pu jouer avec Nawell, ou encore EveTGA, qui œuvrait beaucoup pour les femmes dans le milieu. Ça ne veut pas dire que c’était simple, loin de là. Mais elle a pu s’en inspirer, jouer rapidement un peu partout, et donc… progresser.

« J’avais une expérience de la scène, mais ce n’était pas l’expérience où t’es seule, t’es fragile et tu balances des blagues qui, au début, franchement, soyons honnêtes, ne sont pas les meilleures. »

Le passe-temps devient une passion. Elle apprend en faisant, en multipliant les plateaux, en consultant d’autres humoristes et en regardant comment chacun structure ses blagues. Croyez-le ou non : elle devient drôle ! En tout cas, elle progresse et déclenche des rires. Et elle bide, aussi. Normal. Mais pas à pas, elle trouve sa méthode et sa patte (logique, pour un panda). Un personnage qui a besoin de prendre de la place, avec une grosse dose d’énergie et pas mal de doute.

« En fait, moi, la matière avec laquelle j’écris, c’est le doute. Il n’y a que le doute qui me permet d’avancer. Généralement, la plupart du temps, c’est quand je doute d’une blague, quand elle ne passe pas la première fois que finalement, ça devient l’une de mes meilleures blagues. Parce qu’après, j’ai envie de les retravailler. Le doute, c’est un peu le fioul de ce que je fais. »

De la passion et une vie scène 🎤

Avec le doute (et un peu avec Jacob, son co-auteur), Chloé continue à écrire des vannes. Plus tard, elle espère aussi le faire pour d’autres. « C’est un de mes buts, ouais, d’être devant et derrière. C’est aussi le but de pas mal d’acteurs pornos, mais c’est mon but. J’adore les ficelles des textes, ça me fascine. Et j’aime aussi m’effacer pour faire part d’un projet qui n’est pas le mien. Être sur un territoire commun dont je ne suis pas l’étendard. »

Après avoir lâché son taf de correction orthographique et de relecture pour multiplier les plateaux, elle peut désormais se consacrer à ce qu’elle aime le plus : l’écriture et la production. Et même monter une structure de production, Mana production, avec Driss Mbarek et Yasmina Founti.

Bien sûr, il y a eu des moments plus compliqués que d’autres. Le standup lui a d’ailleurs permis de sortir la tête de l’eau, de parler de sujets du quotidien dont elle avait besoin de se défaire. Même si le chemin a été plein de hauts et de bas émotionnels. 

« En fait, tu sublimes tout ce qui t’arrive. Tout ce qui t’arrive se transforme en blague. C’est mon seul exutoire, au-delà des larmes, comme tout le monde. C’est de faire des blagues dessus. […] C’est hyper galvanisant. Et tu te ressembles. Tu prends ton shot. Mais au début, quand t’es plein de doutes, tu rentres, tu fais face à la dureté de la solitude. Tu te dis mais attends, tu arrives à trouver les mots sur scène, et dans ma vie perso je n’y arrive pas ? »

Ce qui l’a sauvée, ce sont les blagues et les rencontres. Car petit à petit, Chloé s’est entourée. Elle s’est engagée, aussi, en travaillant avec des personnes partageant les mêmes valeurs qu’elle, et notamment la Comedy Pride, une troupe LGBTQIA+ composée d’une dizaine d’humoristes Queer. Des rencontres qui sont assez naturelles, sachant que tout, tout, tout est politique… 

« Où je joue, avec qui je joue, et dans le texte, effectivement, je ne me verrais pas ne pas avoir un propos un minimum militant. Le politique, il est partout. Et je ne me verrais pas ne pas l’inséminer dans mes textes. »

L’intime au service des hauts et débats politiques ⚡️

Sur scène, Chloé aime parler de sujets qui fâchent. Elle aime parler d’elle, de ses aventures quotidiennes pour aller chercher des sujets collectifs. « Je ne dissocie pas mon histoire personnelle de mes opinions politiques. Pour moi, c’est intimement lié. Et l’un renvoie vers l’autre. De toute façon, être une meuf sur scène, déjà, c’est politique. »

Ses vannes ne sont pas plus violentes que celles d’une autre, mais elle a tout l’attirail pour renforcer son propos. Une meuf tatouée, avec une forte présence sur scène, qui n’hésite pas à hausser la voix et à parler crûment. Ça marque. Mais ça a le mérite d’être honnête ! Et efficace… 

« Les blagues que j’écris sont celles que je fais dans la vraie vie. Par contre, évidemment que je me censure. Évidemment, parce que dans la vraie vie, tu peux faire des blagues de merde, tes potes ne t’ont pas payée pour ! Sur scène, tu choisis tes sujets. Quand je fais des blagues sur ma vie privée, il faut que ça me serve à parler politique. Mais les blagues les plus hardcores qui sont sorties de ma bouche cette année, elles sont sorties sur scène ! »

D’ailleurs, les sujets qui fâchent et les sujets qui gênent sont souvent ceux qui méritent d’être abordés. C’est l’occasion d’ouvrir un débat public, de lancer un sujet de discussion et, à minima, de faire avancer des réflexions. Et on en a bien besoin, non ? 

« Parce que les sujets, quand ils te dérangent, c’est qu’ils ne sont pas résolus. Si tu es dérangé par une blague sur la pédocriminalité, c’est que quelque part il y a un problème avec la pédocriminalité. Si tu fais une blague, actuellement, sur le conflit Israëlo-Palestinien, bien sûr que ça va choquer des gens. Parce que ce n’est pas résolu. Et ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler. Au contraire ! »

Chloé Fuck*ng Drouet : appellation d’origine incontrôlée 😶‍🌫️

Dans son nouveau spectacle, Chloé Fucking Drouet, Chloé questionne la classe sociale d’appartenance. Les rapports de domination intimes et politiques, et le “d’où je viens”, d’où elle serait issue. Ce parcours qui façonne la légitimité que l’on pense avoir sur certains sujets. Elle qui a grandi éduquée par une grand-mère qui vivait au Maroc, sans trop savoir d’où venait son mari, comment était ce couple, avec une mère qui a divorcé très jeune… On lui a dit que tout allait bien, mais qu’en est-il vraiment ? (Oui, Chloé est du genre à se poser des questions.)

« Je suis incapable de savoir le “là d’où je viens”. Souvent, on te demande d’où tu viens, et c’est facile de créer une narration, alors que c’est très complexe. Tu éprouves ton contexte d’appartenance tel qu’il t’es mis entre les mains quand tu grandis. Pour moi, là d’où tu viens, c’est l’endroit où il y a friction entre tes rêves et les compromis que tu fais. C’est ici. C’est le là d’où je viens. Et c’est en lien avec le culturel, le politique… tout. »

Alors, comment tu fais, quand tu veux faire de la GRS, que tu rêves de faire des saltos et que tu ne peux pas ? Et ben tu fais des blagues sur scène. Preuve que quand on veut, on peut ! Ou pas.

Mais Chloé a quand même pris sa revanche, en quelque sorte : elle fait kiffer la petite fille qu’elle était. Et elle compte bien transmettre ça à d’autres personnes.

« Ce qui m’anime ? Déjà, rendre fière l’enfant que j’étais. Genre lui dire, eh bah tu vois, tu as fait un truc cool ! Et donner envie à des personnes de faire des trucs. Je suis ravie de faire rire des gens. Si, en plus, il y a des gens qui ont envie de faire des blagues… C’est aussi pour ça que je veux faire de l’écriture. Aider des gens à écrire, mettre le pied à l’étrier, c’est trop important. »

Cette année, Chloé la commence en jouant son spectacle au Dikkenek, à Fribourg, à Grenoble, à Paris… Tout en continuant la co-écriture avec Jacob (et le doute), et en cherchant à perfectionner sa DA sur scène, pour être parfaitement en phase avec ce qu’elle a envie de dire et ce qu’elle est. Une chose est sûre : elle est loin d’avoir dit son dernier mot et d’avoir écrit sa dernière blague !