
Pas toujours facile de rentrer dans les normes, de se sentir à l’aise et compris(e) dans la société et son cadre – même quand on fait des toiles… Armée de sa bombe, Floé dessine des femmes, les tord, les colore et s’exprime à sa manière. Street artiste et illustratrice à plein temps depuis 2019, elle revient tout juste de dix années passées sur l’île de la Réunion, avec sa chienne et mascotte Pointoss’. Et on peut dire qu’elles ont toutes les deux une vraie patte !
Une artiste insulaire et solaire… qui a pris son dessin en main 🏝
Floé a toujours dessiné. Depuis marmaille, comme elle dit. À l’école, elle avait toujours le crayon dans la main et passait son temps à griffonner ses cahiers. Ça ne l’a jamais lâché. Sa passion pour le dessin l’a emmenée jusqu’au métier de graphiste, aussi bien en freelance qu’en salariée, à Paris puis à la Réunion, où elle a été embauchée en agence.
Là-bas, elle travaille pour des clients tout en faisant du graff en parallèle. Jusqu’à ce que le besoin de créativité prenne le dessus : « J’ai fait de nombreuses rencontres, et en voyant que des gens vivaient de leur art, j’ai eu envie d’avancer aussi là-dedans. […] C’était usant de faire les deux. J’avais l’impression de ne pas avancer, de faire les choses à moitié… »
Un jour, à la suite d’une longue session pour réaliser une fresque, son corps lui dit stop. Elle décide alors de s’écouter pour se consacrer à 100 % à ce qui la fait vibrer vraiment : le street art.
De retour à Lyon, elle poursuit sa vie d’artiste. Ses 12 ans de vie sur l’île ne l’ont pas laissée de marbre : habituée à la nature, à un rythme plus sain, elle vit entre la ville et la campagne pour éviter d’étouffer dans le béton et le stress. Elle vit de ses fresques, travaille avec la ville et des écoles, et en profite pour s’exprimer… et surtout, être heureuse !

Ses œuvres sont comme l’île de la Réunion, qui porte bien son nom : elle réunissent des tas d’ethnies, de cultures, de communautés qui se côtoient. Avec des différences qui sont avant tout une richesse, favorisent l’ouverture et la tolérance. Peu importe ce que dit la norme.
« Ce qui est intéressant aussi dans le street art, c’est de pouvoir t’exprimer librement, sur la place publique, et d’être visible ! Et le fait de pouvoir faire des fresques, c’est aussi un moyen de se révolter. Je vais avoir 50 ans, je fais des fresques, et je vous emmerde en fait ! Et j’en vis, et je suis très heureuse. »
Des femmes olympiques 🔥
Son truc, ce sont les femmes et les couleurs. Exposer la diversité et bousculer les normes. Dessiner des femmes fines, grosses, noires, blanches, qui se contorsionnent pour rentrer dans un cadre et se faire une place. Des femmes avec tout ce que la société considérerait comme des défauts, et qui sont pourtant autant de qualités.
Si elle aime tant travailler sur les corps, c’est en partie parce qu’elle a elle-même eu des troubles alimentaires étant plus jeune, et parce que le monde de la publicité l’a confrontée à un tas d’images bien trop normées. Alors qu’à La Réunion, tout le monde se promène en maillot de bain à longueur de journée !
« La plupart des jeunes filles veulent ressembler à des femmes de magazines. J’avais envie, dans mon art, de montrer d’autres corps. Des corps plus réalistes. De montrer des femmes avec des corps hors normes, différents… Des corps réels, en fait ! Avec des vergetures, avec de la cellulite, des formes différentes, maigres, minces, grosses, moyennes… C’est super riche de voir des corps différents. »
Cette démarche l’a aidée à s’accepter comme elle est, à se décomplexer en tant que femme, et c’est aussi ça qu’elle veut partager : « En parler dans mon art, ça peut aider les autres à se dire : “Ce que la société nous dit moche, en fait, c’est beau !” On est tous différents, et c’est ce qui fait la richesse de l’humain. On est tous beaux, quoi qu’il arrive ! »
Bousculer l’énorme établi ❤️🩹
Au-delà des femmes, c’est toutes les différences qui inspirent Floé. Tout ce qui sort un peu du cadre. Les handicaps, physiques ou psychologiques, sont aussi précieux. Toutes ces personnes qui sont mises de côté, d’une manière ou d’une autre, pour une raison ou une autre, sous prétexte qu’elles ne sont pas en accord avec la norme.
« J’ai besoin, dans mon art, de parler de choses qui ne sont pas considérées comme normales. Parce que je ne me sens pas à ma place dans cette société, qui ne me ressemble pas. Et je pense qu’elle ne ressemble à personne. C’est pour ça qu’il y a tant de révolte ! »
De la même manière, l’âge est souvent source de questionnements, de stress, de remises en question. On doit se comporter d’une telle manière à tel âge, d’une autre manière à tel âge. Alors quand Floé voit des femmes se révolter, elle ne peut qu’acquiescer.
« On en a marre du jeunisme. On vieillit tous, et c’est génial de vieillir ! Et quand tu te dis que vieillir c’est génial, tu vis les choses différemment […]. On te dit qu’à partir de 40 ans, de 50 ans tu ne peux plus faire ça. Et ben en fait, si ! Je suis comme je suis et que je sois jeune, vieille ou mince, on s’en fout ! Il faut vivre. On a qu’une vie, putain ! »

Au fond, Floé rêve d’une société qui permet à chacun d’être comme il le souhaite, d’avoir le choix, et de respecter le choix des uns et des autres. D’être vrai et de s’écouter. Rien d’évident, dans un monde où des tonnes de règles se sont installées, générant du stress et des maux en pagaille. Si elle a voulu être indépendante, c’est aussi pour sortir de ce cadre, pouvoir vivre à son rythme et s’écouter.
« Ce n’est pas évident. On est dans une société où on te demande d’être à telle heure, à tel endroit. On te demande de respecter des horaires. Rien que ça, c’est compliqué. C’est pour ça que j’ai voulu arrêter de bosser pour une structure qui a des horaires. C’est l’enfer ! Je trouve que c’est vraiment le premier truc qui te donne du stress. »
Conserver son âme d’enfant 👶
En plus de ses fresques que vous pouvez croiser en urbex ou en ville, Floé intervient régulièrement dans des écoles, qui la contactent pour travailler sur des thématiques qui lui tiennent à cœur : les femmes, l’obésité, l’égalité, les violences faites aux femmes… Elle collabore avec les enfants pour réaliser des fresques.
L’occasion de les faire réfléchir sur des sujets de société, de créer de beaux échanges, mais aussi de leur montrer que vivre de son art, c’est possible ! Au passage, c’est une nouvelle occasion de se confronter à des marmots encore “hors normes”…
« Côtoyer des enfants, ça te permet aussi de te remettre à leur niveau. Parce que tu vois que eux n’ont pas encore trop cette influence de la société qui va leur imposer plein de choses. Ça fait du bien. Ils ont cette espèce de liberté que nous, on a perdu, et que je veux trop retrouver. Retrouver cette insouciance, cette liberté qu’on nous a enlevés. »
Des sujets qu’elle questionne au quotidien, et qui l’animent dans son art. En plus de ses fresques, réalisées avec la ville ou des associations, Floé s’invite régulièrement dans nos rues de manière spontanée, en transformant des encombrants en terrain de jeu. Elle redonne vie à des meubles, des bouts de carton ou de bois en faisant des heureux…
Vous pourrez peut-être croiser son personnage, son logo, qui aime lui aussi jouer avec les mots. Voire vous laisser envoûter par ses formes hors normes dans une expo, une galerie, si ce n’est une gigantesque fresque. Autant d’occasion de sortir du cadre, de sortir des normes… et de sortir de chez vous ?