On a tendance à l’oublier : sous nos pieds, il y a toute une histoire. Que ce soit lors d’une virée en montagne ou au chaud dans notre appartement, la nature et des humains sont passés par là. Kévin Carpin, aka Iconogone, est photographe et chercheur indépendant. Son temps, il le passe à la montagne, dans les souterrains de lyon ou aux archives, sur les traces du passé. Une belle manière de préserver notre environnement et de sensibiliser, mais aussi de réfléchir l’avenir…
De la montagne à la photo : une image vaut mille monts 🏔
Ça fait plus de 15 ans que Kévin fait de la photo. Une passion qui a débarqué un peu par hasard, et qui vient d’abord de son goût pour la nature. Mordu d’alpinisme et d’escalade depuis tout jeune, il passait tous ses week-ends à crapahuter en montagne ou en forêt. Jusqu’à ce qu’il se décide à immortaliser tous ces moments…
La photo, il l’apprend sur le tas, avec de petites formations à droite à gauche. C’est en 2019 que les choses prennent une autre ampleur, et qu’il décide de s’y consacrer sérieusement. L’objectif (sans mauvais jeu de mot) : expérimenter la photo et les arts numériques, tout en faisant des recherches approfondies sur ses sujets.
« Tout ce qui est recherche, c’est un peu venu naturellement, par la passion. […] Ce que je veux faire, c’est de la photo documentaire, scientifique et historique. […] Je me pose plein de questions et souvent on me dit “non, vas-y, fonce !”. Ouais, ce n’est pas tous les jours facile. Mais si ta passion est là, je pense qu’il ne faut pas lâcher. »
Iconogone (icono du grec eikona, signifiant image, et gone du langage lyonnais, signifiant enfant des rues) décide alors de suivre sa passion pour la vivre pleinement. S’il s’intéressait d’abord essentiellement à la montagne, une panne de voiture le force à rester à Lyon quelque temps. Curieux comme il est, difficile de rester en place ! Il commence alors à fouiller la ville et ses alentours : il découvre les galeries, les souterrains… et une nouvelle source intarissable de recherches.
« Je fais énormément de recherches historiques, en parallèle des images que je réalise. Particulièrement sur les souterrains de Lyon, où je fais énormément de photos, dans les galeries lyonnaises. J’essaie de comprendre pourquoi cette galerie a été creusée ici, comment est-ce qu’elle a été creusée, par qui… »
Des souterrains et une histoire à creuser ⛏
Au moins une fois par semaine, Kévin est aux archives municipales en train de fouiller. En septembre, il reprendra même la fac, pour aller plus loin et perfectionner sa méthodologie : « Ça fait 7 ans que je bosse sur le sujet des souterrains de Lyon, que j’accumule plein de données. Mais je m’intéresse aussi au côté historique des glaciers : l’utilisation qu’on a eu, leur évolution… C’est un travail d’archives et d’images. […] J’ai acquis une méthodologie petit à petit, au fil des rencontres que j’ai pu faire : des archéologues, des chercheurs au CNRS… J’écris beaucoup de choses, que j’aimerais publier, mais je ne me sens pas tout le temps légitime. »
S’il a déjà publié (avec l’OCRA sur le sujet des souterrains, et avec des magazines spécialisés pour parler des glaciers), Kévin aimerait continuer dans cette direction.
Pas toujours évident d’avancer à la vitesse qu’il aimerait, d’autant plus que le sujet des souterrains lyonnais est délicat. En théorie, ils sont tous fermés et inaccessibles, si ce n’est par la ville qui peut avoir besoin d’aller inspecter. Mais ça, c’est la théorie. Parfois, certains s’ouvrent et c’est le moment où jamais pour foncer, descendre et étudier ! Mais même si les recherches aboutissent, pas question de tout dévoiler trop vite…
« Il faut un peu jauger ce que tu dis. Parfois j’aimerais être très direct, mentionner exactement un emplacement parce que ça va avec l’histoire… dans un cadre scientifique, c’est génial. Mais si ça s’exporte, certains ouvrages, qui ont un patrimoine et une richesse en histoire, risquent d’être dégradés par des visites régulières. »
Des recherches solo mais sur l’eau💧
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce qui motive Kévin dans ses recherches sur Lyon n’est pas tant le mystère entourant les fameuses arêtes de poissons.
« C’est un sujet hyper controversé donc forcément, ça fascine. Tu as envie de comprendre à quoi ça a pu servir, et puis c’est gigantesque. À Lyon, tous les souterrains ont été creusés en lien avec l’eau. Pour aller chercher de l’eau dans la colline. Les arêtes de poissons, c’est le seul souterrain qui n’a pas été creusé pour ça. »
Le sujet qui fascine le plus Iconogone, c’est justement l’eau, et tous les besoins que l’on a pu avoir par le passé. Pourquoi tel souterrain était là, à quoi il a servi… Il s’agit d’un passé assez récent, qui a représenté des efforts colossaux. Pas évident de s’en rendre compte aujourd’hui, mais il y a quelques années, il fallait creuser pour avoir de l’eau !
« J’aime comprendre pourquoi il y a eu ces besoins. Pourquoi telle personne s’est dit, dans les années 1800, je vais creuser un souterrain dans mon jardin. Aujourd’hui, on ne s’en rend plus compte. On ouvre le robinet et on a de l’eau. Mais eux, ils descendaient tous les jours remplir des seaux pour avoir un peu d’eau pour leurs besoins quotidiens. »
Quand il fait des recherches sur un souterrain en particulier, Kévin arrive petit à petit à retrouver l’histoire de ce qu’il s’est passé en surface au travers des siècles. « Et maintenant tu peux avoir un immeuble construit dessus, et on a oublié quoi ! Pourtant, le souterrain qui est en dessous, en cherchant un peu, tu peux comprendre comment ça se passait. Et je trouve qu’il y a besoin de comprendre. »
Comprendre et montrer pour préserver et sensibiliser 💡
Derrière ces recherches, il y a aussi un puissant sentiment d’adrénaline et de liberté. Le fait de s’isoler, d’être des mètres et des mètres sous terre, à la recherche d’un mystère… « Vu que c’est en souterrain, c’est caché de tout. On l’oublie, on le néglige, parfois c’est détruit, un peu modifié… Il y a aussi un côté très libre, d’être sous terre. Un peu ce sentiment d’être caché de tout, de te déconnecter. »
Mais, vous l’aurez compris, il ne fait pas que ça pour le kiff. Derrière ses images et ses recherches, il y a aussi la volonté d’expliquer, de transmettre, pour préserver et sensibiliser.
« Il y a deux grands messages que j’aime bien faire passer à travers mes photos. Sensibiliser sur la fragilité de la nature et de l’environnement qui nous entoure. Et après, essayer de vulgariser certains sujets un peu complexes. […] Par exemple, quand tu vois les couches sur les glaciers, c’est un bon moyen d’expliquer et de montrer comment ils se forment ! »
Un travail d’information et de création qui est essentiel pour la mémoire… mais pas que. On a tendance à penser progrès et nouvelles technologies pour l’avenir, mais c’est aussi dans le passé que des solutions peuvent être trouvées !
« C’est important, peut-être même pour un futur. Au niveau hydrologie, il y a déjà de l’eau qui coule, qui va dans les égouts. Pourquoi ne pas la récupérer ? Peut-être pas pour la boire, mais pour arroser les jardins, les parcs… Il y a le passé, mais aussi ce qu’on peut faire pour le futur qui m’intéresse. »
Mieux encore, il y a l’exemple des tours à vent, utilisées en Iran depuis plus de 1000 ans : des tours qui permettent, grâce à un système de circulation d’air, de refroidir la surface de la ville de façon naturelle. « Souvent, on essaie de trouver des solutions avec nos technologies et tout ce qu’on connaît maintenant. Mais en fait, si tu vas chercher un peu dans le passé ce qui se faisait, il y a parfois des trucs qui ne sont pas bêtes, et très simples à réaliser ! »
À l’heure actuelle, Kévin est sans doute en train de fouiller un souterrain situé (on ne le dira pas), dans les pentes de (au choix) : « C’est vraiment magnifique. C’est un souterrain sur lequel je fais la plupart de mes recherches en ce moment, et ouais c’est incroyable ! ». En attendant de publier les 4000 photos qu’il a en stock, il poursuit ses recherches, accumule les images, fait des expos et des conférences. Il creuse, il creuse, et vu la richesse du territoire, il n’est pas prêt de toucher le fond !
📸 Au pied du glacier
Kévin avait le projet d’aller sous un glacier, pour y trouver des cavités sous glaciaires : des gros tunnels de glace (que l’on voit souvent sur des photos en Islande, mais que l’on peut aussi trouver en France). Après un jour de marche, il découvre la cavité : « on était en plein mois d’août, ça fondait à une vitesse hallucinante ! ». Le lendemain, il y retourne et y reste une minute le temps de la photo. « On n’était pas sereins. Tu te dis ouais, on est vraiment tout petits face à la nature ! C’est dangereux, et en même temps, c’est ce glacier qui alimente les versants du Rhône. »
Si tu avais une baguette magique, qu’est-ce que tu changerais dans le monde ?
La paix. Qu’il n’y ait plus de guerre, que tout le monde s’entende bien, qu’on ne fasse plus de différences entre les gens. Ce serait ma priorité. Et si j’avais le droit à un deuxième sort, ce serait que notre planète se porte un peu mieux niveau environnemental. Mais avant tout, que l’humain… qu’on s’apaise un peu plus les uns les autres.