
Il y a des humains qui font de la musique avec l’objectif clair d’en vivre, de monter sur scène et d’en faire leur métier. Et d’autres qui préfèrent continuer à la voir comme un loisir, en faisant tout pour garder l’essentiel : le kiff et la passion. Charles, aka Istah, est de ceux-là. Rappeur, beatmaker et créateur installé au vert, il prend le temps de créer, d’écrire et de faire ce qui lui plaît. On a pris le temps d’aller le rencontrer pour en savoir plus sur sa vision et ses projets : les prod’ et les textes n’ont pas fini de raisonner…
✍️ L’envie de créer et du son dans les veines
Istah, c’est d’abord Charles. Un humain qui a choisi un anagramme en guise de nom d’artiste, pour rendre hommage à une proche qui a quitté trop tôt la piste. Un humain qui a vite découvert la musique et le son, avec une grande sœur qui écoutait beaucoup de rap à la maison. Assez naturellement, sa sensibilité et son envie de créer se sont développées : au collège déjà, il se souvient d’écrire des textes en cours et de les montrer à une pionne. Et quand il a rencontré Yav’, qui faisait déjà ça de manière un peu plus sérieuse, la musique a pris encore plus d’importance. Depuis ? Il n’a pas arrêté de prendre des notes, de gratter et de composer.
« Ça s’est fait assez naturellement. Je voulais faire comme les gars que j’écoutais, avoir mon nom sur YouTube… C’était un peu de fierté, un accomplissement. On kiffait grave, et on était trop contents d’arriver à mettre un truc en ligne et à le faire écouter. »
Les années ont passé et l’envie de créer n’a fait que s’amplifier. Même s’il y a eu des passages à vide, la musique est toujours revenue dans sa vie. « Je crois que ça ne me lâchera pas. Je pense que ma manière de faire changera, mais que je continuerai à m’exprimer, que ce soit par l’écriture, la photo, le dessin… »
Son truc ? Essayer de transmettre ses émotions et sa sensibilité à travers des instrus prenantes qui laissent une belle place à des textes forts. Tout ça de chez lui, dans la chambre qu’il a aménagée pour pouvoir enregistrer, avec le strict minimum pour faire des prises de voix correctes et avoir un certain niveau de qualité.
L’inspiration, il la puise dans son quotidien, en marchant et en notant tout ce qui lui vient à l’esprit de façon assez instinctive, mais aussi en analysant les situations et les interactions qu’il peut avoir avec les gens. De quoi noircir des pages et des pages de mots, de rimes et de bouts de phrase, avant de se poser pour tout retravailler.
« Je rappe des choses que je vis au quotidien. […]. Je rappe mes soucis, des choses auxquelles je suis confronté. Je me vois comme quelqu’un qui crée pour essayer de véhiculer ses émotions à travers des créations. Ça me fait du bien, il y a un côté salvateur. Et imaginer que des gens se reconnaissent là-dedans, se dire que ton travail a une finalité pour toi mais aussi pour les autres, c’est plaisant ! »
🤍 Parti pour garder la passion
Partager son ressenti et ses émotions, c’est ce qu’il a fait dans son dernier projet en date, sorti en septembre 2024 : Parti pour rien faire. Un projet de rap français introspectif avec des textes soignés, conçu sans autre ambition que de prendre du plaisir et de partager un bout d’humain.
« Je considère ça comme du loisir, comme une passion. Je produis pas mal de choses, mais je n’ai pas l’intention d’aller plus loin. Quand on me demande si je veux faire des concerts, c’est non. J’essaie de faire ça le plus sérieusement possible, sur la qualité que je souhaite sortir, en passant par des studios, mais non, je fais vraiment ça comme un loisir ! Comme si je payais une licence de badminton, sauf que je paie un abonnement à Cubase pour pouvoir faire ma musique. »
Pas question de changer de ligne directrice et de tout faire pour faire de l’argent avec sa musique. Istah préfère créer dans son coin, mettre ses œuvres en ligne et les partager sans trop se montrer. Une solution de facilité ? Peut-être, mais une solution assumée. Il veut avant tout kiffer, garder sa passion et ne surtout pas s’en dégoûter. Et c’est comme ça qu’il avance, même si ça peut sembler être à l’opposé des tendances.
« Je vois des jeunes qui débutent, qui ont direct la volonté de se professionnaliser, d’en faire un métier. Ça fait six mois qu’ils rappent, et ils sont déjà dans cette démarche. C’est bien, mais je trouve que ça peut prendre le pas sur la passion, qui est primordiale pour moi. Tu dois être passionné par ce que tu fais. Il y a une génération qui va beaucoup trop vite, et ça se voit dans ce qu’elle renvoie. En ce moment, le rap fonctionne, ils veulent faire de la thune, gratter des euros avec des streams… et moi, j’emmerde ça, vraiment. […] Ce n’est pas faire de l’argent avec la musique, qui me dérange. C’est la démarche de vouloir en faire alors que tu viens de débuter et ton seul leitmotiv, c’est l’argent. C’est pas faire du son, c’est pas kiffer, c’est pas créer, c’est faire de l’argent. »
Alors il partage ses tripes en restant loin des objectifs chiffrés. Une bonne manière de garder les pieds sur terre, la passion intacte, et de ne jamais s’oublier. Si son dernier EP est sorti en physique, c’est avant tout pour pouvoir le distribuer, remercier ceux qui y ont participé, et idéalement soutenir les futurs projets. Entre lui et la musique, c’est le seul rapport pécuniaire qui existe.
« Je n’ai pas la prétention que ce que je fais puisse m’apporter de quoi remplir le frigo ou quoi. Je fais ça pour mon compte personnel en premier lieu. C’est vraiment pour mon plaisir perso. Je mène les choses du plus sérieux que je puisse, mais j’essaie de me faire plaisir à moi-même et de véhiculer des trucs qui viennent de moi. Je le fais pour moi d’abord. »
Pour lui, mais ça profite aussi aux autres rappeurs et amateurs de rap français : dans sa nouvelle série de collaborations, Hybride, il invite d’autres artistes à poser sur ses instrus pour en faire des sons. Un beau format pour partager, mêler différents univers et créer des connexions.
« Il y a le côté artistique mais aussi le côté humain, ressenti, émotions… C’est la base du truc, pour moi : ce qu’il y a à l’intérieur de nous, comment tu le retranscris, comment tu gères ce que tu vis… C’est hyper salvateur. Pour moi, le rap, c’est ça. C’est la vision que j’en ai. »
🤯 Prendre son pied et prendre soin de soi
« Le temps passe vite. Je ressens le besoin de faire des choses, de créer pendant que le temps passe. Je me fixe des objectifs, comme la sortie de l’EP l’an dernier. Ce côté aboutissement est hyper important. Et on en revient à ce côté salvateur : ça fait du bien à l’esprit, de pouvoir dealer des mots. »
Pour Istah, la suite est simple : continuer à faire des rencontres, à creuser au fond de lui et de ses pensées pour continuer à créer et transmettre. Les futurs projets seront sans doute aussi l’occasion de parler de sujets de fond. Ce qu’il fait déjà, même si c’est en parlant de soi. De toute façons, qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ?
S’il a tant besoin de créer, c’est aussi parce que c’est un exutoire. Une manière d’aborder des thématiques variées et de déverser ses pensées, ce qui peut aussi être précieux pour la santé mentale. Un sujet qui le touche particulièrement, à l’heure où il est lui-même en pleine reconstruction.
« C’est très personnel, très familial. Mon histoire familiale fait que ça prend de la place aujourd’hui. Je parle surtout de l’addiction que j’avais à l’alcool parce que j’ai un parcours chaotique avec ça, et ça me bouffait la vie. Donc j’ai décidé que ce ne soit plus le cas. Pour moi, pour ma santé, pour mes proches. »
Charles a grandi dans un environnement complexe, exposé à des pathologies, qui l’ont amené à se questionner, à s’intéresser et à se soigner. « C’est lié à beaucoup de choses. À mon histoire, à mon enfance, à des choses qui sont arrivées récemment dans ma vie… […] Mes parents ont divorcé vers ma naissance. J’avais des relations compliquées avec mon père, qui était un personnage atypique, avec des pathologies psychiatriques. Il a mis fin à ses jours sans qu’on se soit parlé pendant un an. Ensuite, mon petit frère s’est suicidé en 2023. Au même moment, ma grande sœur a été internée en psychiatrie, diagnostiquée bipolaire. C’est quelqu’un de génial, de magnifique, mais qui est juste malade. C’était rude, je te jure. »
Aujourd’hui, il en parle ouvertement sur les réseaux. Une étape pas facile mais nécessaire, notamment pour informer et sensibiliser. D’autant plus que ce sont des sujets que l’on a tendance à ne pas oser aborder et à laisser de côté par facilité… alors que de nombreuses personnes sont touchées.
« Il y a un tabou de ouf autour de ça – la santé mentale, les pathologies… On est plein comme ça, à vivre des choses dures. Il faut vivre avec. C’est un sujet très présent pour moi, donc j’essaie d’en parler et d’être transparent. Je pense qu’il y a plein de gens qui craignent d’en entendre parler et d’en parler. C’est des sujets qui font un peu flipper. Ce sont des pathologies, les gens n’y peuvent rien. Tu développes des choses, ou tu les as depuis que tu es né… Il faut essayer d’expliquer, d’être transparent. »
Alors il faut en parler, et ne pas rester enfermé : si vous souffrez, si vous avez des addictions, des problèmes que vous n’arrivez pas à régler, des personnes sont là pour vous écouter et vous aider.
« Quand tu décèles un truc ou que tu sens quelque chose, comme quand tu as la gastro ou un rhume, essaye de régler le problème en te soignant, en essayant de savoir pourquoi ça ne va pas, en allant consulter… J’étais réfractaire à ça, de ouf. Mais il faut régler les problèmes, parce que tu vis avec et tu t’y enfonces. Donc humblement, je souhaite à quelqu’un qui ne va pas bien de faire en sorte que ça aille mieux. Il faut beaucoup de volonté, ce n’est pas facile. Mais c’est possible d’aller mieux. »
Istah est bien parti pour aller mieux, et certainement pas pour rien faire : il prépare déjà l’anniversaire de son EP avec quelques surprises, pour remercier les gens qui ont posé dessus et faire découvrir de nouvelles choses. D’ici-là, d’autres créations verront le jour. Si vous aimez le rap, le son, l’humain et les émotions, n’hésitez pas à aller jeter un œil (et même une oreille) à ses réalisations : ça pue la passion !
Envie d’aller voir le travail d’Istah de plus près ?