
Ce n’est pas parce qu’on a passé l’âge adulte qu’on doit s’arrêter de jouer. Constantin, aka Kanaga, chanteur, guitariste, auteur et compositeur, a failli l’oublier. Mais finalement, deux ans d’introspection l’ont mené à un nouvel EP : Une poussière dans l’œil. Un projet qu’il a bâti de A à Z, où chaque mot compte. De la guitare au rap, du rap à la pop, du rêve de vivre de la musique au désir de rester soi-même : on a pris le temps de parler de son parcours et des graines qu’il sème !
🎸 Tout est dans tes cordes
« Je viens d’une famille où on a toujours écouté beaucoup de musique. On aime bien pousser la chansonnette. C’est quelque chose qui m’a porté. »
Tout petit, la musique était déjà près de lui. Puis il a récupéré les baladeurs de ses frères et sœurs, eu son propre casque et poncé les sons qui l’influenceront : Snow Patrol, Razorlight, Les Red Hot, entre autres. À l’adolescence, il découvre la guitare de son frère… et tombe amoureux d’une fille qui adore les guitaristes. Combo gagnant : « Finalement, je suis tombé amoureux des deux, et on ne s’est pas lâchés. »
Le temps passe et la guitare prend de plus en plus de place. Il découvre Andy Mackie, Antoine Dufour, et commence à vouloir partager sa musique sur YouTube, rêvant de remplir des salles. Au lycée, il découvre le slam, puis le rap avec son frère. La passion est telle qu’à ses 18 ans, ses parents lui offrent une session de 2h en studio pour enregistrer. Depuis, il ne s’est pas arrêté. Et quand il a débarqué à Lyon, il était déterminé : « Je suis arrivé à Lyon en 2018, avec pour objectif précis de vivre de la musique en 6 mois. Ça fait six ans. »
Six ans, mais six ans pendant lesquels il n’a pas lâché. À peine arrivé, il se met à arpenter les jams et les opens mic, pendant plus d’un an, trois à quatre fois par semaine. L’occasion d’apprendre et de connecter avec plein de gens et d’artistes, et de s’intégrer au réseau lyonnais.
« Je me rappelle bien du premier soir où j’arrive à Lyon, fin novembre 2018. J’arrive sur le canap’ de ma sœur, je trouve une sous-loc. J’ai à peine laissé mes affaires, je file à la péniche Loupika pour un open mic. Il y avait que des crews, des fans de rap, avec leur public. Première pinte, deuxième pinte… Je monte sur scène, ça me passe le micro. C’est chaud ! Y’a une instru qui passe, elle est pour moi. On me passe le micro. Nickel. Et là, l’instru change. Aucun flow. je suis resté bloqué, et on m’a repris le micro […] En vrai, c’est une super énergie les open mics. Les jams aussi, ça m’a beaucoup appris. »
L’un des déclics, ça a été l’un de ses premiers concerts : une soirée au CCO de Villeurbanne avec Cyrious, ACS et plein d’autres, pendant laquelle il joue l’un de ses titres devant 200 personnes. Juste ce qu’il faut pour le fasciner et lui donner l’envie de multiplier ce genre de moments. Alors il continue à bosser jusqu’à sortir son premier projet, en 2019.
« Trop stylé. Si tu peux vivre de ta musique pour créer des moments comme ça, ou tout le monde est content, tout le monde passe un bon moment et oublie son quotidien. C’est incroyable. Il me tend la main, je monte, et là je me suis senti artiste. Ça m’a vraiment touché ce moment de joie, c’était trop beau. »
🤝 Pas de plan B mais un vrai plan Ä
Quand le confinement arrive, place à la frustration. Plus de musique. Plus d’événements. Plus de connexions. Alors Kanaga lance Au menu, la session freestyle sans frontière : une sorte d’open mic à distance. Il envoie des instrus, chaque artiste se filme et il se charge du montage. Quand le deuxième confinement arrive, place à la frustration. Et à de nouvelles solutions : il organise des lives chez lui, invitant par exemple L’Officier Zen, Kaynixe, Bobby… pour des sessions mémorables. Peu de temps plus tard, c’est Bobby qui lui propose une résidence. Et un nouveau déclic.
« J’étais censé rester 3 heures, je suis resté 3 jours, littéralement. C’est-à-dire que je ne suis pas parti le lendemain, ni le surlendemain, mais encore après. On a eu une connexion musicale et humaine de folie. On a déroulé. C’est le premier soir qu’on se connaît, et on fait Là haut, mon seul feat je crois avec Bobby. Je me retrouvais à faire de la guitare, des chœurs, en même temps j’étais chanteur, rappeur… ça m’a ouvert des vannes. »
Et c’est là que commence l’aventure du plan Ä : un groupe de potes qui bossent ensemble, qui organisent des événements, et qui se portent mutuellement pour continuer à faire du son de toutes les façons. Alors Kanaga grandit, multiplie les projets et évolue, petit à petit.
« Je viens du rap, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas l’énergie du rap qui me correspondait le mieux, personnellement. J’adore en écouter, être entouré d’autres rappeurs, bosser avec d’autres rappeurs, etc. J’ai commencé à chanter et j’ai décidé d’être honnête avec moi-même. C’est quoi qui te fait vraiment kiffer ? La guitare et les voix. Les premiers amours, quoi. Sauf que ça fait super peur de faire ça. Quand tu as que ta guitare et toi, tu te sens tout nu ! J’ai l’impression qu’à chaque mot j’enlève un vêtement. C’est une sorte d’intimité que tu dévoiles et qui n’est pas simple à accepter, surtout quand tu viens du rap. J’ai l’impression que je me cachais, et je n’arrivais pas à rentrer vraiment dans le perso. Alors qu’avec les chansons, j’arrivais à donner plus exactement les émotions que je voulais. Alors j’ai foncé. »
Alors non, depuis son arrivée à Lyon, Constantin ne vit toujours pas de sa musique. Mais il a pris du recul, progressé et continué à cheminer, suivant chaque nouvelle lumière au bout du tunnel : le premier concert, le premier gros concert, le premier collectif, le premier festival…
« J’ai arrêté cette course, parce que je trouve qu’elle n’est pas saine. C’est pas parce que tu vis de ta musique que tu fais de la bonne musique ou que tu es heureux. Tu peux faire une course effrénée, mais à quelle fin ? Quel but ? Je me remets beaucoup en question là-dessus. Je n’ai pas envie que ma musique devienne un travail, on va dire. Ça reste une passion. Je peux gagner ma vie avec ma passion, sans que ça devienne trop un travail. Je n’ai pas envie de me forcer à la faire. Je n’ai pas envie que ça devienne une rengaine, comme si j’allais au travail en traînant les pieds. »
☝️Réussir à suivre sa voix
« Au stade où j’en suis, je n’ai pas envie de tout miser sur la musique. Parce que j’ai besoin d’accompagnement, et c’est exactement ce qui est en train d’être détruit en France. […] Je n’ai pas envie de me presser, de faire des choix musicaux pour faire de l’argent. Je préfère être sain, que mon projet musical soit sain, représentatif de ce que je suis. En fait, ça sert à quoi d’être connu, si on ne te connaît pas pour toi-même ? »
Fini le temps où il était trop pressé. Aujourd’hui, Kanaga préfère prendre le temps. L’une de ses prochaines réussites, ça devrait être de pouvoir alimenter ses projets musicaux grâce à l’argent que la musique lui rapporte (en faisant des concerts à son nom, en tant que guitariste, en vendant des instrus…). Et ça arrivera quand ça arrivera. En attendant, il ne veut pas trop se contraindre. La voie qui lui correspond le plus, c’est celle de se trouver et de se présenter du mieux qu’il peut. « Je préfère être honnête : je ne vis pas de ma musique, aujourd’hui. Et ce n’est pas grave. Je suis très content de ce que je fais, et ça ne m’empêche pas de me sentir artiste. »
Sensible du genre éponge, Constantin a continué à absorber ce qu’il vivait et à retranscrire ses émotions. Sa course effrénée a fini par le questionner, jusqu’à avoir besoin de couper et d’apprendre à souffler.
« Au moment du plan Ä, j’étais tellement obsédé par ma musique que je ne voulais plus lâcher une once d’énergie à autre chose. J’étais totalement focus. Y’avait plus rien qui comptait. C’est aussi ça, qui fait que j’ai fermé les yeux sur beaucoup de choses. Au point que je n’arrivais même pas à regarder un film. Encore moins à jouer. »
Quand il l’a réalisé, il s’est calmé et a pris le temps de se retrouver, sans pour autant lâcher. Au contraire : il en a profité pour gagner en autonomie et travailler sur son projet qui est aujourd’hui le plus abouti.
« Je me suis dit : je ne vais plus me mettre de barrière créative. Je vais aller au plus profond de moi-même. Et c’est dans une introspection très profonde que j’ai trouvé ces sons-là, qui m’ont fait débloquer plein de choses dans ma vie. Il y avait plein de choses inconscientes que je cachais à moi-même. Je suis allé au plus profond de moi et ce n’était pas très agréable, mais j’ai vraiment récuré là où il fallait. »
👁 Une poussière dans l’œil et une douceur dans l’oreille
« Je parle de choses très personnelles. Ce projet m’a beaucoup aidé pendant deux ans, et je suis très content de le partager maintenant. C’était beaucoup de travail, et toute une période de ma vie qui est inscrite dans ces morceaux. Quoi qu’il se passe ensuite, c’est un accomplissement personnel. »
Après son climax et avoir trop enchaîné, Constantin a mis du temps à construire ce nouveau projet. Il n’a pas arrêté de le retarder, mais il en avait besoin pour le peaufiner et l’améliorer. « Je voulais ouvrir les yeux. J’avais l’impression que je m’étais caché sur beaucoup de choses. Ce projet m’a donné plein de clés pour m’en sortir. »
Résultat : un beau projet de 6 titres dans lequel il se livre et dans lequel chaque mot compte, qu’il diffusera de manière originale (avec un objet inattendu, des morceaux additionnels, des explications…). Et un projet qui sera rapidement défendu sur scène, à Paris et à Lyon. Un projet riche en introspection et en émotions, qui porte aussi un message fort inspiré par son frère et plus grand partenaire de jeu, dans l’un des morceaux qui lui tient particulièrement à cœur : n’oubliez pas de jouer !
« Quand tu grandis, on t’autorise moins facilement à jouer. Et dès que tu es dans un travail qui ne te plaît pas, tu as l’impression de ne plus pouvoir jouer, ou seulement le week-end. Et tu vis deux jours par semaine. Je ne veux pas vivre deux jours, mais sept jours par semaine ! »
Alors après s’être un peu perdu, Kanaga a renoué avec le jeu. Il a retrouvé le plaisir, teste des trucs, écoute son rythme, fait une compo perso quand l’envie lui chante. En bref : il se respecte et fait en sorte que son projet artistique ne le bouffe pas, en écoutant son instinct. Toujours avec cette même envie d’apprendre, de connecter, de découvrir, de réunir. Et il a trouvé une belle façon de le faire : « Twitch, c’est une bonne excuse : je rencontre des gens et on va faire de la musique, parler musique, sans obligation de résultat. Personne ne paie rien. On passe juste un bon moment ensemble ! »
Kanaga n’est peut-être plus chef (cuisiner), mais il n’a pas fini de créer sa propre recette. Et il continuera à avoir la volonté des marins pêcheurs de la Vague de Kanagawa, pour surmonter vents et marées. Sans oublier de jouer et de se marrer. Avant de vous barrer, on vous invite vite à aller l’écouter !
« N’arrêtez pas de vouloir jouer dans votre vie. Trouvez toujours un moyen de rendre la vie ludique. Même dans les petites choses. On n’est pas obligé de changer toute sa vie pour passer un bon moment. Surtout dans le contexte anxiogène dans lequel on vit. Souvent, c’est en faisant de toutes petites choses dans son quotidien qu’on arrive à retrouver des rayons de soleil dans sa vie. Pas avec des grandes phrases. »