En France, quand on demande à quelqu’un s’il a fait l’école du rire, c’est souvent pour se moquer gentiment. Un peu comme quand on demande à quelqu’un s’il a mangé un clown. Pourtant, l’école du rire, ça peut aussi être du sérieux ! Lucas Hueso a 24 ans, et il fait partie des humoristes qui arpentent les scènes de stand up à Lyon. Depuis quelques mois, il vit pleinement de ses blagues et joue son spectacle trois fois par semaine. On pourrait dire qu’il ne rigole plus… mais c’est tout le contraire !
C’est pas l’école qui nous a dicté nos codes ? 🎓
Ses premiers pas sur scène, Lucas les fait au collège. Il n’était pas très scolaire, plutôt du genre à intervenir en classe pour envoyer des blagues à ses voisins. C’est sa prof de Français qui l’a remarqué et l’a embarqué : si tu veux capter l’attention, viens donc faire du théâtre ! Quelques années plus tard, à la fin du lycée, l’envie de scène ne l’avait pas quitté. Sauf que sa mère insistait pour qu’il ait un diplôme. La solution ? Partir faire l’École nationale de l’humour de Montréal.
Il fallait obtenir le concours, et faire partie des 15 retenus sur les 200 participants, mais ça l’a fait : Lucas a un tempérament de bosseur… et à 18 ans, il avait déjà les idées claires !
« Moi, à la base, je voulais y aller avec un but précis : me professionnaliser. […] Je pense que l’école de l’humour, c’est vraiment utile si tu sais ce que tu viens chercher à l’intérieur. Si tu viens en mode découverte, en touriste, tu risques de t’y perdre. Moi, je voulais me professionnaliser. C’est-à-dire avoir un rythme de travail, apprendre à écrire, à structurer mes idées, à être sur scène, à capter l’attention, à jouer avec mon corps, à essayer d’être présent, à avoir un style. Et comprendre comment marchait le milieu. Comment tu fais pour créer ton économie, comprendre la différence entre un diffuseur et un producteur…
« C’était ça, l’unique prétention que j’avais : ressortir en me disant que je peux évoluer dans ce métier, avoir les armes pour y aller même en étant jeune. »
Les pieds à Lyon et la tête sur les épaules 🦁
De retour en France, Lucas avait de solides bases dans sa valise. Et quelques blagues. L’objectif : remonter sur scène pour mettre en application ses acquis et se développer à Lyon avant de voir ailleurs. Sauf que dans un premier temps, ce n’est pas possible d’en vivre. Alors il jongle entre un travail d’animateur en périscolaire et les plateaux.
Une double vie qui n’est pas si simple à gérer : « Ce qui est compliqué, c’est de maintenir une sorte de discipline de travail. Quand t’es un peu partagé entre ton taf à côté parce qu’il faut bien que tu survives, vivre aussi ta vie parce qu’il faut bien (voir des gens, faire des trucs), et en parallèle faire le plus de spectacles possibles… C’est un rythme vachement intense. Cette transition-là, elle a été compliquée. »
D’autant plus qu’à ce moment-là, Lucas est encore jeune. Il doit faire sa place, mais aussi se construire. « À 20 ans, t’es pas encore connecté à tous les niveaux. J’suis un rookie, j’ai faim, je vais vous montrer que je vais y arriver, mais je n’ai pas encore l’aisance pour que ça puisse glisser tout seul. C’est un marathon pour moi : va falloir que je tienne pendant peut-être encore 20 ans. […] Et en même temps, c’est un coup dans 3 ans j’arrête, tu ne me revois plus, je suis au Chili en train de faire des merguez. »
Lucas pense déjà à long terme et n’est pas prêt de lâcher l’affaire. Il reste discipliné, éprouve et affine sa technique d’écriture. Il accumule les notes, prend toutes les idées qui lui viennent, et les retravaille jusqu’à avoir un résultat prêt à être testé en spectacle ou en comédie club.
Comedy Claque 🥊
Pour se consacrer pleinement à l’humour, Lucas finit par lâcher son boulot d’animateur. Une grosse décision qui n’est pas arrivée par hasard : fin 2023, il participait au concours Comedy Class d’Amazon Prime. Éric et Ramzy faisaient le tour de France pour sélectionner des humoristes et les faire monter à Paris, et Lucas a été appelé pour passer à Marseille.
Sauf que… « Ça n’a pas du tout bien été. Je suis arrivé avec un vieux texte, qui n’est pas le moi d’aujourd’hui, en me disant que j’allais m’en débarrasser, le donner à Amazon. C’est souvent ça, les captations : tu décides de donner un texte. Ça n’a pas pris. […] Ramzy m’a dit : « tu sonnes comme tout ce que j’ai l’habitude d’entendre. T’as pas d’autres choses à raconter ? […] Je t’avoue, quand je suis rentré de Marseille, dans le train, j’étais… ça a été compliqué quelques jours. Puis quand j’arrive à Lyon, spectacle annulé. Non seulement je ne suis pas marrant, mais en plus les gens ne vont plus venir me voir ! »
Une grosse remise en question plus tard, les spectacles reprennent, ça marche, et Lucas avance. Mais il décide de poser sa démission dans la foulée. « Plus jamais je ne ferai de vieux textes. Il faut que ce soit un “moi” que je puisse défendre et m’amuser à faire. Animateur en périscolaire, ce n’est plus moi. Ça dégage. »
« Ouais ça m’a fait chier de ouf, mon égo a été piqué, mais c’est pas pour rien. Rien n’arrive par hasard. Et le déclic qui en découle est vraiment cool. »
Les réseaux sociaux : de la poudre aux yeux ? 👀
Pour remplir les salles, il faut aussi arriver à se montrer, à se mettre en avant, notamment sur les réseaux sociaux. Parce que si tu ne proposes pas de contenu, si les gens ne te voient pas en ligne… tu as moins de visibilité, donc moins de personnes qui viennent te voir. Et en même temps, ça revient à s’exposer.
Lucas a mis du temps à se lancer : « Parce que je me jugeais. Ça fait peur aussi, de se dire vas-y je droppe un truc, que je pense être marrant, puis là il est exposable à tout le monde. Tout le monde peut donner son avis et t’as le retour direct. Ça me stressait grave ! C’est une question de confiance, je pense. »
Aujourd’hui, il bosse avec d’autres personnes sur le sujet et fait des formats plutôt cools. Mais il reste méfiant, et ne veut surtout pas jurer que par ça. Le nombre d’abonnés, ce n’est pas forcément un gage de qualité : « C’est un truc qui te permet d’avoir un dos plus confortable, mais attention : combien de fois j’ai rencontré des gens avec grave d’abonnés, et une salle vide. C’est là que tu te rends compte que c’est de la poudre aux yeux. »
Santé mentalement parlant… 🤯
Si les réseaux sociaux peuvent être vus comme un monde parallèle, son métier fait aussi cet effet-là. Parce qu’il met beaucoup de temps et d’énergie dans une vie qui ne colle pas forcément à celle des gens qu’il aime : quand lui est dispo – la journée –, eux sont au travail. Et quand ils sortent du travail, lui s’apprête à monter sur scène. Un équilibre qui n’est pas toujours évident à gérer.
« Le burn out, la santé mentale, faut en parler. Dans ce métier, c’est zinzin. J’ai déjà perdu trop de points de vie. Parce qu’on ne se rend pas compte à quel point tu vis dans un monde parallèle, quand tu fais ce métier […] Pour créer des liens sociaux avec les gens, c’est particulier. Ouais, j’ai pris conscience que la santé mentale c’était important. Ça, on en n’a pas trop parlé à l’école. J’aurais bien aimé qu’on en parle un peu plus. J’ai rencontré tellement de gens malheureux, et qui ont un succès de zinzin ! »
Pour tenir, Lucas a fait en sorte d’avoir le bon entourage. Il s’impose des coupures, du temps pour profiter des gens, faire du sport, voir un psy, bien manger, sortir… Et puis, il faut accepter d’avoir des phases !
Il continue son bonhomme de chemin, sans oublier de se remettre en question au quotidien : « Moi, je suis quelqu’un qui doute beaucoup de base. Donc la remise en question, elle est quasiment hebdomadaire. Parce que c’est un peu un ascenseur émotionnel, ce métier. Tu peux vraiment être confronté à une dose de succès instantané, comme l’opposé de ouf le jour suivant. »
Comme au foot, Lucas fonctionne saison par saison. De septembre à juin. Là, il joue son premier spectacle, Essai, jusqu’en juin aux Tontons Flingueurs. Ensuite, il compte essayer de le jouer à l’extérieur, puis bosser sur le deuxième. Forcément, les gens changent, lui aussi, et son “lui d’aujourd’hui” va petit à petit se détacher de ce premier essai. Paris pourrait aussi être l’une des prochaines étapes, pour continuer à progresser auprès des meilleurs… tout en veillant à ne pas se brûler les ailes.
« L’humour, c’est trop subjectif. T’es qui pour dire c’est pas marrant ? Lui il est drôle, lui il est pas drôle ? »
