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Mathieu Rochet – Il était une voix à l’Ouest

Et si, plutôt que de faire l’autruche face aux sujets qui fâchent, on prenait le temps d’en rire ? Mathieu Rochet a été journaliste, DJ, réalisateur… avant de se découvrir un nouveau métier de cœur : stand upeur. Il joue son spectacle À l’Ouest (c’est le titre hein, il le joue à l’Est aussi), se balade de scène en scène et organise des plateaux avec un personnage bien à lui. Un peu maladroit, doté d’une logique douteuse, il nous invite à poser un autre regard sur la société et la politique. Un regard un peu con (c’est lui qui le dit), mais en réalité loin de l’être !

Du journalisme à la scène : tourner la page pour ouvrir les vannes 🎤

Aujourd’hui, vous pouvez le voir se mettre à nu sur scène avec ses blagues. Mais avant ça, Mathieu a porté pas mal de casquettes : DJ, journaliste musical et éditeur du magazine Gasface – une référence en matière de hip-hop, réalisateur (des séries New York Minute, Lost in California, Lost in Traplanta)… 

À la base, c’est sa passion pour le rap qui lui a fait acheter sa première platine à 15 ans. Quelques années plus tard, il débarquait chez Radio Canuts et commençait à mixer en radio. Pendant les années fac’, il se lance dans les interviews et crée Gasface, fanzine devenu magazine vendu dans toute la France, mais aussi en Belgique, en Suisse, et même au Canada. Un des numéros, avec Prodigy et Mobb Depp en couverture, cartonne tant et si bien qu’il se retrouve chez Arte. S’ensuit la série New York Minute, écrite sur la ligne 8, qui devient la série la plus vue d’Arte Web à l’international. Pas mal, non ?

Pas mal, mais c’était avant que Mathieu ne se découvre vraiment. Après plus de dix années de journalisme, il a un premier déclic : une soirée au Comedy Cellar, le jour de son anniversaire, à laquelle Louis C.K. s’invite pour un rodage.

« C’était tellement pur, c’était tellement incroyable. Ce jour-là, j’ai eu un gros déclic. J’étais déjà fan de stand up depuis longtemps, et ça m’a tellement bouleversé, ce spectacle. La sensation que j’ai eu à rire comme ça, à être dans mon élément. C’était tellement puissant, le niveau de bien-être et de bonheur, que j’ai compris que j’étais vraiment malheureux, depuis super longtemps, et que je ne m’en rendais pas compte. »

Sa décision est prise : son truc, c’est la comédie. Dans la foulée, il écrit la série Lost in Traplanta, une comédie documentaire dans laquelle le maladroit Larry part à Atlanta avec l’ambition de reformer le groupe mythique Outkast. Kody Kim, comédien et humoriste, occupe le rôle principal, et propose à Mathieu d’écrire quelques blagues à côté. Alors il commence à gratter, à filer des textes à Kody… et à trouver ses premières vannes à lui.

« Ça passe un cap dans ma tête à ce moment-là. Et puis, j’en parle dans mon spectacle, ce n’est pas un secret, mais ma femme est tombée gravement malade. Il y a un moment, je m’en souviens, j’étais sous ma douche, et je me suis dit “putain, là j’ai vraiment besoin des rires”. Dans ma tête, ça a levé un voile sur un truc que je ne m’étais jamais dit moi-même. Parce qu’avant, je n’avais jamais mis le doigt sur cette envie. Je me mentais à moi-même. »

C’est là que Mathieu décide de monter sur scène, sans forcément imaginer que tout va s’accélérer et qu’il va y consacrer tout son temps. Son premier passage à La Grooverie est réussi. Trop facile. Le second le remet d’aplomb : « Heureusement, le deuxième passage s’est hyper mal passé. Je me suis pris un méga bide quoi. J’étais trop mal, j’avais envie de partir, et j’ai fait tout mon truc en accéléré pour pouvoir dire que je l’avais fini et pouvoir partir, mais c’était horrible. »

Pas de quoi s’arrêter-là. La première fois est la plus importante (on parle de scène, hein), et elle a été belle. Les habitués viennent le relever, lui donner des conseils, et l’aider à continuer sa route… Deux ans plus tard, il est toujours à fond.

« La comédie, c’est l’air que je respire. Je peux faire d’autres trucs, mais je ne suis pas vraiment moi. […] J’avais cette envie, mais j’avais peur qu’on me juge et qu’on me trouve nul. Je restais dans mon coin, j’avais recouvert ça au point de le cacher à moi-même. Mais ce qui m’est arrivé dans ma vie était tellement plus effrayant, que cette toute petite peur ridicule, elle est devenue dérisoire. »

La politique vue par la Ouest Coast 👐

Son premier spectacle est comme lui : À l’Ouest. C’est l’histoire d’un mec un peu maladroit, un peu con, qui fait des gaffes et qui part un peu dans tous les sens, avec pas mal de dérision… mais toujours avec des sujets de fond. L’idée : arriver à parler de politique avec un angle original et surprenant.

« À l’Ouest, parce que je suis quelqu’un d’assez maladroit. C’est une façon de parler politique en faisant semblant de ne pas le faire. De raconter des histoires de façon un peu accidentelle, et qui finissent toujours par parler politique. C’est un spectacle à moitié gogole, à moitié politique. »

À l’heure où les (plus ou moins) experts défilent sur tous les plateaux télé, sur tous les sujets, l’idée est de prendre le truc à contrepied : « C’est fascinant, je trouve. Ces gens qui n’ont que des certitudes, qui sont toujours en train d’expliquer la vie et qui sont très sûrs d’eux. Ce serait marrant de faire un truc d’une heure, où t’as quelqu’un d’un peu con qui t’explique la vie. Tu ne te fais jamais expliquer la vie par quelqu’un de con. Et qui sait qu’il l’est un peu. Ça peut donner quelque chose de différent… »

Mission réussie : Mathieu donne à voir un personnage un poil naïf, qui raconte des histoires et nous emmène dans son univers, nous sort de nos schémas de pensées habituels. De quoi pousser le public dans des retranchements et déclencher de bonnes tranches de rire. La tranche de cheese cake, ce sera pour plus tard, dans son prochain spectacle…  

« Cheese ou cake ? Ah bah les deux. C’est génial, le premier mec qui a osé, qui a voulu les deux, ensemble. Je voulais faire un spectacle qui est vraiment sur la culture politique française, avec cette injonction qu’il y a à choisir entre se sentir de gauche ou de droite. Je me suis dit qu’il y avait un truc rigolo à faire : trouver la recette du cheese cake politique. Et essayer de la trouver avant 2027, avant que le pays ne meurt étouffé d’une trop grosse part d’extrême cake. »

Moins il y a de flou, plus on rit ✨

Vous l’aurez compris : derrière ce personnage maladroit, il y a un mec qui se casse la tête et cherche la recette pour traiter des sujets d’actualité en les saupoudrant d’absurde et d’auto-dérision.

Pas question de se censurer – même si ça lui a valu un passage coupé pour Génération Paname à La Cigale. Il faut dire que Darmanin a eu gain de cause. Forcément, puisque “un viol c’est quand la femme n’est pas d’accord, et que l’homme n’est pas ministre” !

Mais si Mathieu a tendance à aborder des sujets sensibles (qui ne devraient pas l’être), il le fait toujours avec maladresse… et minutie, embarquant le public avec lui. Pas d’attaque, pas d’insulte, juste la volonté de soulever des sujets qui méritent réflexion. Des sujets compliqués que l’on peut avoir tendance à ranger au fond du placard pour ne pas les voir ! Pourtant…

« Adresser des sujets qui angoissent, c’est hyper salvateur. Quand c’est bien fait, ça fait du bien à tout le monde. Ce sont les meilleurs rires, parce qu’ils partent sur un truc qui est vraiment… “ouf, il en parle !”. Je pense qu’il y a moyen, aussi, que l’humour réunisse. Que ce soit un lieu où on se retrouve. […] La personne qui est le plus moquée, c’est évidemment moi. »

Dans sa recherche d’angles et de blagues, Mathieu cherche simplement à décomplexer sur des sujets de société, à déclencher des rires et toucher un maximum de personnes. Peu importe les idées, la classe, les lieux de vie, le rire est aussi l’occasion de se réunir !

« Ça me paraît compliqué de ne pas en parler. Il doit y avoir moyen de trouver des angles pour que tout le monde rigole. Au-delà de “t’es d’accord avec moi.” Ce n’est pas intéressant de se conforter avec des gens qui sont d’accord avec toi. J’ai vraiment envie de pouvoir jouer partout, d’arriver à faire rire énormément de gens, dans des groupes vachement divers de la société, tu vois. »

Alors, pourquoi se fixer des limites – si ce n’est celle du respect ? Mathieu profite de l’impro pour tester et construire ses vannes collectivement, avec le public. C’est aussi pour ça qu’il a monté un plateau de 3×30 au Grisbi, qui offre un lieu approprié pour improviser, imaginer et créer des choses en live. 

« C’est ça que j’adore, aussi : on se découvre les uns les autres. En thématisant les impros, les spectacles se construisent collectivement. […] Tu peux faire des trucs qui vont éventuellement faire du bien aux autres. Prendre un sujet de la vie, et lever un peu une angoisse sur quelque chose de dur, c’est hyper chouette. »

Son spectacle À l’Ouest, joué une trentaine de fois, continue à tourner avec la belle affiche réalisée par Mattesupreme. Et non, il n’y a pas que l’affiche qui vaut le coup ! Ses passages sont l’occasion de passer un bon moment, de s’oublier un peu avec un personnage qui sort de l’ordinaire et nous partage un peu de sa connerie. De quoi se marrer… et peut-être même éviter de perdre le Nord !