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L’œil de momo – Un regard sans cible sur l’art

Des questions sociologiques, philosophiques, spirituelles, certains en font des débats sans fin. D’autres s’en inspirent, se les approprient… et en font de l’art. Morgane est de ceux-là. On pourrait la dire artiste, mais c’est avant tout une créative : une créartiste qui s’amuse avec plusieurs médiums. Elle dessine, elle peint, elle écrit, elle tatoue… Avec son œil, aka L’œil de momo, elle pose un regard sur la société, l’humain et leur complexité. Alors, ça donne quoi si on la regarde les yeux dans les cieux ?

Son parcours : du social à l’art, de cil en aiguille… 🪡

À la base, pour Morgane, le domaine artistique… c’est l’inconnu. Même si elle dessine et peint depuis toute petite, elle n’avait jamais vraiment songé à le sortir de sa chambre et à le partager. C’était d’abord un hobby, une occupation, une passion, comme pour plein d’autres enfants.

« C’était un grand intérêt, sans jamais me dire qu’un jour j’aurais un atelier, que je ferais des expos, ou même que je vendrais des trucs. C’est pas du tout le but, à la base. […] C’était plus un défouloir, libérateur. Cette envie de tester et de toucher la matière, de la moduler… »

Le monde de l’art, elle en était loin. C’est dans le sanitaire et social qu’elle a fait ses études, puis travaillé plusieurs années. Jusqu’au déclic : la rencontre d’un collègue artiste quand elle était éducatrice spécialisée au Maroc. Alors qu’elle avait plus ou moins mis le dessin de côté, le voir s’épanouir dans son art lui redonne la confiance et l’envie. Alors elle reprend ses crayons, ses pinceaux, son œil et ses feuilles… 

« Il le voyait tellement simplement ! C’était inné chez lui, tu vois. Et ça m’a donné envie de faire un peu comme lui. Il me ressemblait beaucoup dans son parcours. Si lui, au Maroc, pouvait le faire sans expérience… Pourquoi pas moi ? J’ai repris les dessins et je me suis mis à les partager. Et j’ai continué, continué, continué… »

Ces dessins, ils lui servaient aussi à parler. À partager un bout de ce qu’elle vivait dans son quotidien d’éducatrice spécialisée, de l’humain et de sa complexité. « J’avais envie de dessiner pour dire quelque chose, pour m’exprimer sur un sujet, et c’était le social et ce que je vivais. » 

À son retour en France, en 2020, alors qu’elle était bénévole dans un bar associatif à Saint-Étienne, elle voit de nombreux jeunes artistes exposer. Alors encore une fois, pourquoi pas elle ? Elle propose ses œuvres, fait sa première exposition… et réalise que oui, même sans venir du milieu, même sans expérience, l’art est une option.

Les planètes étaient alignées. Pour elle, c’était le bon moment de mettre entre parenthèses sa carrière d’éducatrice spécialisée. Un métier qu’elle ne peut pas faire à moitié, dans lequel elle a besoin de s’engager à plein temps et à long terme pour être présente auprès d’un public jeune, désorienté, en quête de stabilité.

« Je ne me suis jamais lassée de dessiner, de peindre, de tester, de créer. Donc oui, pourquoi pas me lancer là-dedans ? Peut-être qu’il faut que je teste ça aussi. Je pourrais toujours revenir si je me casse la gueule. Puis je suis quelqu’un qui fonce, en soi. Ça s’est fait un peu naturellement. »

Nomade et en quête de liberté, Momo se met alors à la recherche d’un atelier pour pouvoir créer dans de bonnes conditions. Elle rejoint les locaux de Superposition, puis la Cité des Halles. C’est là qu’elle rencontre et découvre, petit à petit, l’art lyonnais.

Des êtres humains difficiles à cerner 👁

Dans ses créations, figuratives et minimalistes, où elle joue avec les codes de l’abstrait, on retrouve souvent des yeux. Mais aussi des visages, des lèvres, des nez, des seins, des lignes et des courbes qui s’entremêlent ou s’alignent… 

« Depuis toute petite, j’ai un truc avec le regard, avec les yeux. Je trouve que c’est bouleversant, un regard. Un regard humain, comme un regard animal. Soit c’est bouleversant, soit c’est intriguant. J’aime beaucoup l’adage qui dit que les yeux sont le reflet de l’âme. Je le trouve très juste. Très jeune, j’ai dit à ma mère “si je meurs, je donne mon corps à la science, sauf les yeux”. »

Pour beaucoup de ses créations, Morgane écoute son intuition, et ce qu’elle ressent lors de son expérimentation. Le tout en s’appuyant sur ses connaissances, ses relations, son quotidien… 

« Ce qui va me passionner, mais aussi dans mon métier d’éducatrice spécialisée, c’est le côté humain : comment il peut être beau et à la fois complexe, détestable… Et ça, ça amène à réfléchir. C’est psycho, ethno… c’est passionnant. »

Résultat : des œuvres qui nous invitent à poser un certain regard sur l’humain, sur nous-mêmes, à nous poser et à prendre le temps de réfléchir un peu. Et c’est aussi ça, que veut Momo : laisser une place aux yeux de chacun.

« On vit dans un même monde, et pourtant, la perception est différente pour chacun. On ne voit pas les couleurs de la même manière. C’est assez hallucinant de se dire que pour un seul et même objet, il peut y avoir autant de définitions que de personnes qui le regardent. […] J’aime laisser la possibilité à l’autre de s’inscrire dans ce que je fais. De s’approprier la toile, d’avoir de l’espace pour intégrer sa propre imagination. » 

Une artiste en construction, fragile et agile 🖌

Aujourd’hui, Momo partage un atelier avec d’autres artistes. Elle continue à dessiner et à apprendre, encore et toujours, en autodidacte. Contrairement à d’autres artistes qui créent depuis longtemps ou qui se sont formés, elle sent qu’elle a encore besoin d’apprendre à se connaître dans ce milieu.

« Dans le domaine artistique, je me suis redécouvert une fragilité, une sensibilité… J’ai un problème avec la légitimité, l’auto-sabotage. Toutes ces barrières, je me les mets beaucoup dans mon art. Plus je rencontre des gens talentueux, plus ça me freine, au lieu de me booster. »

Mais cette fragilité, cette sensibilité, c’est aussi ce qui fait sa force. C’est sa méthode, sa manière de faire, d’expérimenter. Alors elle continue sa construction en se battant contre les moments difficiles et les remises en question. 

« Je suis beaucoup sur l’instinct et l’intuition, et je pense qu’il faut juste que je l’accepte, que c’est un peu ma technique. Je pense que je suis juste en train de grandir, en soi. Donc il faut que j’accepte tout ce qui est en train de se passer, et tout ce qui me chamboule. […] Mais je ne me pose pas la question de ne pas le faire. Ce n’est pas une option. Je le fais. Dans la douleur, mais je le fais. »

Elle alterne entre l’acrylique, les pastels secs ou l’encre de chine. Entre autres. Parce qu’à côté du dessin et de la peinture, elle écrit des poèmes, joue de la musique… Elle se disperse ? Un peu. Mais c’est comme ça qu’elle fonctionne. 

« Ce n’est pas inné de comprendre comment on fonctionne. Et ça peut aussi être compliqué quand tu vois d’autres personnes fonctionner différemment. […] Mon organisation idéale, c’est l’ordi, le ukulélé derrière, la peinture là, le dessin là, un peu de nourriture, du café ou du thé, et un bouquin quelque part. […] J’ai un problème d’ancrage, j’ai du mal à m’ancrer quelque part. » 

C’est aussi grâce à cette envie de bouger, d’essayer, que Momo continue de partager des créations. Plus récemment, elle s’est aussi lancée dans le tattoo, un domaine qu’elle côtoie depuis des années déjà, avec environ un tatouage par an. Elle a récemment participé à la sortie d’un livre pour enfants… vous l’aurez compris : la création est sans fin ! 

Elle peint, elle dessine, elle écrit, elle réfléchit et elle fait réfléchir. Ses œuvres et ses textes poétiques pourraient bien, un jour ou l’autre, se retrouver dans un livre… En attendant, c’est son parcours de créatrice qu’elle continue à écrire, feuille après feuille, dessin après dessin, en nous partageant toujours un peu d’humain.