On dit que les murs ont des oreilles. Et si, finalement, tous les objets avaient des yeux, un cœur, des membres, des organes ? Ça fait deux ans que Pierre-Jean (aka Fouapa) a tout plaqué pour explorer son univers du pop macabre. Il donne vie (ou mort) à des objets du quotidien, prend le temps de les disséquer en associant l’imagerie du morbide et des couleurs pop. On est partis le rencontrer à la Cité des halles, où il est résident… histoire de faire le bilan.
Dessins liés ✍️
Après 13 ans à travailler dans la publicité, le conseil et la stratégie, à briefer des créatifs, Pierre-Jean a décidé de tout lâcher pour revenir à Lyon, où il a en partie grandi. L’idée : se consacrer pleinement à l’art. Artiste pluridisciplinaire, il travaille sur différents supports, des toiles mais aussi des objets récupérés, en associant le morbide et des couleurs tout droit venues des années 90.
Si sa reconversion est assez récente, c’est des années plus tôt que Fouapa a rencontré le dessin. À l’école, c’était déjà pour lui une manière de s’exprimer et de communiquer. Un outil précieux quand on n’a pas forcément l’aisance et que les mots peuvent manquer.
« J’étais un gamin assez solitaire. J’ai toujours eu un peu des difficultés à aller vers les autres, à avoir des relations avec les gens […] Même encore aujourd’hui, faire connaissance avec quelqu’un, c’est bizarre pour moi. Le dessin, quand j’étais petit, c’était une manière d’avoir un truc à moi qui me rassurait. Et puis, c’est une manière d’entrer en contact avec les autres […]. Le dessin a toujours fait partie de moi. »
Seulement, quand on a un job qui prend toute notre énergie et notre charge mentale, pas facile de prendre du temps pour créer, dessiner et avancer vraiment. Mais comme pour beaucoup, le confinement a été source de questions. Et de réponses. « Le confinement m’a aidé à me dire : reconnecte-toi avec ce que tu as vraiment envie de faire ! […]. Prendre un atelier, prendre des risques… alors que mon activité artistique était à l’époque anecdotique. […] J’ai l’impression que c’est une manière d’être honnête avec moi-même. » Aujourd’hui, aucun regret. Et plus de frustration.
« Il y a beaucoup de frustration qui s’envole, en fait, quand tu es honnête avec toi-même. »
Des objets étudiés à mort et des œuvres pleines de vie 🪓
Mais alors, pourquoi s’attaquer aux objets tout particulièrement ? Comment tout ça a commencé ? Fasciné depuis toujours par les dessins des anatomistes, les planches anatomiques, et par les travaux d’artistes comme Fortifem, Pierre-Jean a dû chercher dans ses souvenirs pour se remémorer sa première dissection, qui a été la première brique d’une longue série – de quoi faire de lui un serial killer ?
« Une pote d’agence de pub organisait un événement autour des sextoys, et m’avait demandé une toile. Je trouvais marrant d’ouvrir le sextoy et d’y mettre un cœur dedans, pour casser le côté juste sexuel, et pas être dans quelque chose de trop vulgaire. J’avais bien aimé cette idée. Déjà, visuellement, c’est intéressant de mettre des organes dans un objet inanimé. C’est dérangeant aussi, potentiellement. Et en même temps, en termes de sens, tu vois ce qui est à l’intérieur de l’objet, et ce qui est à l’intérieur de toi. Dans le cas du sextoy, il y a de l’amour, de l’amour pour toi-même, mais ce n’est pas juste du cul, juste du plastique. »
De fil en aiguille, Fouapa poursuit cette réflexion sur d’autres objets. À la fin du confinement, il sort dans la rue pour poser et proposer des collages. Ses œuvres plaisent et c’est, petit à petit, le décollage : les gens lui donnent de la force, l’encourageant à continuer sur ce chemin. Le sujet l’intéresse d’autant plus que la mort a tendance à être taboue dans nos sociétés occidentales, et qu’on préfère éviter de voir tout ce qui y touche.
« Globalement, ce que je cherche à faire dans ma démarche artistique, c’est obliger les gens à regarder la mort, mais d’une manière différente. Même d’une manière fun. […] Il y a beaucoup d’intérêt à y penser ! À quoi tu sers, qu’est-ce que tu fais dans ta vie, est-ce que ta manière de consommer est la bonne… »
Fouapa y remet de la fête avec des couleurs pop, qui claquent, qui rendent ses visuels aussi macabres que joyeux. Il faut dire qu’il est un peu nostalgique d’une certaine époque : « J’ai l’impression qu’on voit moins de couleurs criardes. Il y a le retour de trucs très colorés, mais je suis un peu nostalgique de l’époque avec beaucoup d’agressivité visuelle. […] T’en prenais plein ta putain de gueule, quoi. Tu prends le générique de Sauvé par le gong, les cartes Crados… Ça gratouillait la rétine ! »
Au-delà de taper dans l’œil, les œuvres de Fouapa peuvent aussi questionner sur notre rapport aux objets. Car s’ils n’ont pas de vrais organes, on a tendance à s’y attacher et ils peuvent renfermer pas mal de choses : des souvenirs, de l’amour… Un rapport assez complexe mais qui mérite réflexion !
« Ça fait partie de ma démarche en tant que personne de prendre du recul par rapport à ça. Quand on parle de société de consommation, d’attachement au matériel, etc., c’est quelque chose dont j’ai fait partie pendant des années. Et quelque chose que j’ai aimé. »
« Mais le rapport que l’on a aux objets est hyper complexe ! C’est ce qui nous permet de créer du lien […]. C’est un truc vachement fort. Et en même temps, la relation qu’on a avec les objets est hyper toxique… Ça dit énormément de nous en tant qu’humain. On est la seule espèce capable de matérialisme ! »
Finalement, pour Pierre-Jean, la démarche artistique prend petit à petit le pas sur le matériel. Parce que c’est ça, le plus précieux : qui tu es, ce que tu sais, ce que tu sais faire… et alors que des objets peuvent se faire la malle, la capacité de créer de zéro, elle, ne disparaîtra pas.
Exposer, c’est s’exposer 💡
La création n’a pas de prix. Enfin, si, bien sûr. Fouapa vend ses œuvres, des toiles, des objets, fait des expositions dans des galeries, décore des bars… Il crée des objets et en réutilise (des vinyles, des vieux hachoirs en bois – désormais interdits en cuisine -, des battes, des skateboards…). Son nouveau travail à plein temps le fait vibrer, et il ne pourrait plus s’en passer.
Ça nous a mené à pas mal de réflexions intéressantes, sur l’acte de création et le fait de montrer ses œuvres : « C’est ça, la différence entre être artiste et créatif. Un créatif n’a pas besoin qu’on le regarde, qu’on consomme sa production. Un artiste a ce besoin que son travail soit évalué, en bien ou en mal. Avoir le sentiment qu’il crée un impact émotionnel. »
Parfois, ça marche, parfois, ça marche moins. Peu importe : c’est en faisant que l’on progresse, que l’on apprend, et que Fouapa peut continuer à creuser le pop macabre. Chaque œuvre trouve son public, à différents niveaux.
Son conseil à donner à quelqu’un qui hésiterait à se lancer dans le dessin, à partager ses créations, à se dire artiste ? Y croire un peu. « Quand j’étais en école de comm’, une pote avait une phrase que je trouvais formidable : “s’y croire, c’est déjà y être un peu”. Tu peux la prendre de manière négative, mais aussi à l’inverse, très motivante. La difficulté à se dire artiste, c’est la légitimité. Qui suis-je pour aller exposer mon travail ? Personne ne se pose la question, à part toi. C’est à toi de prendre le risque d’y croire. »
« Le vrai conseil à mettre en œuvre, c’est de faire, faire, faire. Faire un maximum de choses. Dédramatiser l’acte de la création, et se soumettre au regard des autres. Un truc d’une violence inouïe, mais certainement plus violent dans nos têtes qu’en réalité. Puis tu produis, plus tu vas te prouver à toi-même que t’es capable de le faire. »
Alors Pierre-Jean continue à partager des émotions, dans des bars, dans des galeries et dans les rues : n’hésitez pas à guetter les murs que vous croisez et à vous laisser surprendre par un peu de pop macabre. Un œil vous regardera parfois de travers, un objet aura le cœur ouvert, mais vous vous direz peut-être que ça tue !
« Les humains, on est les seuls à avoir une démarche artistique. Si tu ne le fais pas, tu passes à côté d’une partie de ce que c’est être humain ! »