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L’Oratrice – S’affirmer sans jamais s’enfermer

Même quand on rappe depuis plusieurs années, trouver son style et sa direction artistique n’a rien d’évident. C’est bien souvent une question de recherche, d’expérimentation et de temps. Laura, aka L’Oratrice, est rappeuse, auteure, interprète. Depuis plus de 5 ans, elle partage son art et se rend visible, multipliant les créations. Une plume affutée, une voix prenante que l’on avait envie de vous partager. Alors on a pris le temps de discuter. En pleine phase de création, L’Oratrice n’a pas fini de parler et de faire parler !

De l’écriture à la scène, du stylo au micro… 🎤

« J’écris depuis que je suis toute petite. C’est un peu comme un exutoire : j’écrivais dans un journal intime, puis des poèmes… J’accorde beaucoup d’importance aux textes. »

Tout a commencé avec l’écriture. Un besoin de poser ses idées, ses pensées, de se libérer de certaines choses… Tout ça dans une famille avec pas mal de musiciens, même si Laura a choisi de se concentrer sur un seul instrument : sa voix.

C’est d’abord son cousin, Phosphore, qui la guide en lui partageant ses techniques d’écriture et en l’aidant à structurer ses textes. Il l’encourage, lui donne envie de continuer et l’invite à poser. Les rimes se multiplient, l’écriture se fait de plus en plus naturelle et les opens mics la font progresser.

Aujourd’hui, ça doit faire une dizaine d’années que Laura rappe. Mais pas si longtemps que c’est devenu sérieux. À la base, tout ça restait dans sa chambre et sur de petites scènes… jusqu’à son exil à Barcelone. En 2020, elle se retrouve confinée, multiplie les freestyles et se met à poster sur les réseaux.

« Au départ, je partais pour un mois. Finalement, j’ai arrêté les études et je suis restée un an, deux ans, quasi trois ans. […] Il y avait beaucoup de concours de rap, à l’époque. J’ai posé un freestyle, sans rien attendre, j’ai été repostée et ça m’a donné une régularité, parce qu’il fallait publier un freestyle tous les mois. »

Depuis, l’envie n’a fait que grandir. Laura s’est mise à faire les open mics de Barcelone, à être embarquée sur des concerts. Elle rencontre alors un producteur péruvien, beatmaker et membre d’un groupe de rap au Pérou, fasciné comme pas mal d’hispanophones par les sonorités de la langue française, qui l’aide à produire ses deux premières chansons.

« J’ai écumé les open mics, et on m’a proposé des petits shows. Tout ça m’a lancée. En fait, c’est vraiment grâce aux gens qui m’ont poussée, qui m’ont aidé et qui m’ont dit “tu fais des trucs cools, viens on fait un truc ensemble”… Sans ça, je n’aurais rien sorti. »

Jusque-là, Laura était plutôt du genre à rapper dans sa chambre ou en soirée, entre potes. Il faut dire que se mettre à partager ses textes est loin d’être simple. Mais pas à pas, les craintes s’effacent, l’artiste progresse et y prend goût.

« Tu te confrontes à l’avis des autres, tu t’exposes. Tu as un côté vachement violent aussi, tu te mets à nu. Surtout que je parlais beaucoup de choses plutôt intimes, plutôt tristes. C’était un exutoire, ça me permettait de me sentir mieux après. »

Partir pour mieux rester : la passion du voyage pour se nourrir 🌍

« À Barcelone, il y a de la musique partout, et pas de jugement. Il y a des endroits où les gens se retrouvent pour rapper sans s’arrêter. Des gens qui n’ont rien sorti, d’autres qui ont fait 5 millions de vues… et il n’y a pas de jugement. On est tous autour du même art, et on s’écoute. »

Quand elle rentre de Barcelone à Lyon, fin 2021, retour à la réalité. Le rap n’est pas vraiment partout, les cyphers ne sont pas si nombreux. Mais elle rejoint des petits groupes et s’intègre petit à petit. Contactée sur les réseaux par Festigone, elle fait son premier concert. Et après un passage en open mic (après un concert de KLM et Dr. Kyle), c’est Lours – aka La Patte Folle – qui l’invite à jouer au Melville. 

On est en 2022. Laura commence à arpenter les scènes ouvertes de Lyon, et surtout à multiplier les petits concerts – À Lyon, Vienne, Grenoble… À côté de ses jobs, la musique est de plus en plus présente…

« Je n’aime pas trop le terme “vivre de la musique”, parce qu’on peut en vivre sans pour autant en vivre confortablement. Mais en tout cas, j’ai envie d’y mettre de plus en plus d’énergie. »

Seulement, Laura est sensible, se questionne et a besoin de s’évader. Pour sortir d’une période compliquée, elle fait une coupure et s’envole en Nouvelle Zélande pour se ressourcer. L’occasion de s’immerger dans une autre culture, et de se nourrir du voyage pour revenir encore plus déterminée.

« J’ai eu beaucoup de remises en question. J’ai eu une période où, pendant un an et demi, je suis totalement sortie de mon quotidien et partie à l’étranger très loin. J’ai essayé le rap sur des trucs totalement différents ! Psytrance, Drum and Bass… Je n’ai pas du tout produit, mais j’ai beaucoup écrit. »

Si elle n’a pas produit pendant tout ce temps, elle a avancé, découvert plein de styles, noirci des pages. De retour à Lyon, après une période compliquée niveau taf, elle se remet à fond dans la musique. L’objectif est clair : finaliser les projets qu’elle a dans la tête depuis des années, produire et parvenir à avoir assez de cachets pour obtenir l’intermittence.

« Voyager, c’est super enrichissant. Ça permet de découvrir une autre culture, de se recentrer sur soi, de développer des capacités d’adaptation. Ça m’a ouvert, et ça m’inspire beaucoup pour l’écriture. J’avais besoin, à ce moment-là, de pouvoir revenir en étant plus en accord avec qui j’étais. »

Des projets plein la tête et de belles choses à venir 💿

« Je m’oriente vers quelque chose de plus énergique, qui me correspond plus, qui correspond plus à ma personnalité, au fait que j’aime aussi montrer un côté solaire sur scène. Je pense que les chansons qui arrivent me représentent bien. »

Depuis son retour, L’Oratrice avance sur des projets qui verront bientôt le jour. Mais surtout, elle continue d’expérimenter et de faire évoluer son style au fil des morceaux. À l’écoute du rap français, mais aussi d’Angleterre et d’Amérique du Sud, entre autres, elle s’inspire d’un maximum de choses pour trouver sa patte.

« Ce qui est le plus dur, c’est de créer un projet qui me ressemble vraiment, et qui ait une vraie direction artistique. […] Plus tu écoutes des artistes différents, moins on va te lier à une personne dans ta musique. J’écoute beaucoup de nana qui rappent. Elles sont trop fortes, on ne les met pas assez en avant. »

Pour mieux se trouver, L’Oratrice teste, jongle entre les styles et les sonorités – boom bap, afro beat, pop… –, pour ne rien laisser de côté. Mais elle le fait de manière consciente, avec du recul sur son dernier EP Caméléon, qui portait bien son nom.

« J’ai pu m’éparpiller en voulant toucher plein de trucs différents. Aujourd’hui, j’ai envie de trouver quelque chose de plus centré. Le but, pour l’instant, c’est de créer plein de chansons, et de voir où cela m’emmène. Ce cheminement va m’aider à me recentrer petit à petit. »

Et même s’il y a beaucoup de remises en question, des doutes, des périodes plus compliquées, Laura n’est pas prête de laisser tomber. « Heureusement que les remises en question sont là. Il faut les transformer en énergie positive. Si elles n’étaient pas là, peut-être que je serais moins exigeante avec moi-même. »

Ce qui la porte le plus ? Son entourage. Pour avancer, L’Oratrice est plutôt bien entourée : elle enregistre chez elle mais aussi au studio Two O’Clock à Tassin, et travaille avec différents beatmakers et producteurs, tandis que des proches et artistes lyonnais comme Eugénie ou Lours l’encouragent au quotidien.

Les sujets abordés dans ses sons ? Ils sont variés, mais toujours inspirés et soigneusement travaillés : l’introspection, les sujets liés au féminisme, ses expériences de vie, la condition des femmes de manière générale, comme elle a pu le faire dans Chienne. Le tout avec une plume appliquée et de la subtilité.

« C’est toujours politique, parce que tu exprimes forcément une opinion. Mais j’essaie de le faire de manière implicite. Je m’inspire de ce que je vois, de ce que je vis, des situations de mes amis… C’est beaucoup basé sur le relationnel. C’est peut-être ce qui m’inspire le plus. »

Avec toujours la qualité en ligne de mire, Laura fait en sorte de finir chaque son pour continuer à s’orienter vers ce qu’elle veut être, ce qu’elle veut donner, ce qu’elle aime. De toute façon, ce n’est presque pas une option.

« J’ai des choses à dire, des choses à écrire, et j’ai envie de le faire. C’est ma passion, donc je ne lâcherai jamais la musique, parce que ça me tient. Ça me fait du bien. »

Son single Danser sort dans quelques jours, et ce n’est que le début d’une longue série. Elle a déjà 45 minutes prêtes à présenter sur scène. Et la scène… elle adore ça. Alors si vous avez envie de donner un coup de pouce à une artiste lyonnaise qui a une belle plume et qui s’affirme de son en son, vous savez vers qui vous tourner. Et que ce soit en stream ou sur scène, ça va vous retourner !